Petit village de la région de Chiang Mai, Thaïlande, 10 janvier 2010.
Ces quelques lignes me font mal. J’ai vu et maintenant, je m’en veux. Je me dois de rapporter ce détournement touristique.
En cette fin de journée, dans ce minuscule village dans les collines environnantes de Chiang Mai, au Nord de la Thaïlande, il n’y a aucun son. Seuls les oiseaux sifflotent discrètement. La vie semble s’être arrêtée. Ce qui me surprend le plus, c’est qu’habituellement dans ces villages perdus des montagnes, des milliers d’enfants jouent dans les ruelles, mais cette fois-ci, elles sont désertes. Je suis mal à l’aise mais ma curiosité me pousse à comprendre pourquoi je ressens de telles ondes négatives.
Je m’avance, scrutant l’horizon immobile et silencieux. Toujours rien en vue. Les maisons du village sont bien là. De la fumée sort de l’une d’entre-elles me prouvant qu’il y a de la vie ici. C’est très étrange : où sont donc ces petites têtes jouant de tout et de rien ? Où sont ces enfants ? Un peu plus tard, au loin, j’aperçois plusieurs jeunes gens se mettant à courir en direction de leur cahute en bambou. Ils m’ont vu et me fuient. Je crois comprendre. Apparemment, je serais attendu mais pas le bienvenu. J’hésite un moment à faire demi-tour mais mon humanisme me pousse à absolument vouloir échanger des regards pour vraiment comprendre pourquoi je serais mal venu ici.
Au coin d’une petite ruelle, aussi déserte que les autres, une jeune mère s’amuse avec son fils qui rit aux éclats dans ses bras. Nous échangeons un regard furtif. Ses yeux même illuminés me désolent. Pourquoi suis-je là ? Quel lieu étrange… et dire que j’ai payé un droit d’entrer pour accéder à ce minuscule village peuplé de Karens au long cou ou femmes padaungs. Ces gens ont fuient l’oppression du Myanamar (ex-Birmanie) pour se réfugier dans le Nord de la Thaïlande voisine. Ils ont fui pour survivre en se réfugiant dans ces montagnes. Il est donc facile de comprendre pourquoi leur faciès est tant marqué par des années de guerres. Mais sont-ils plus heureux aujourd’hui ? Oui sûrement…
Cependant, la politique de la Thaïlande qui soutient ces minorités est à double tranchant. Ces Padaungs, reconnus par leur nouveau gouvernement, sont en paix et peuvent vivre en liberté malgré leur énorme handicap physique. Comme beaucoup d’autres, je suis tombé dans le piège, intrigué par cette coutume étrange. En entrant ici, j’ai participé à encourager ces jeunes demoiselles, si belles à continuer à mettre ces fichus anneaux, qui leur rapportent quelques étrennes apportées par ces touristes (le gouvernement s’en mettant bien plus dans la poche…). Je m’en veux d’avoir poussé la porte de « ce zoo » et maintenant mes yeux sont pleins de larmes.
Je fais donc demi-tour, entendant encore cette enfant me dire «No Money » (Pas d’argent). Je suis triste, elle est si belle mais désemparée.
Que faire sinon essayer de donner un moment de joie à ces jeunes avec ce foutu ballon qui roule, qui roule comme abandonné. Bien sûr, comme à mon habitude, je fais le guignol, la balle au pied. Et ça fonctionne. En simplement quelques secondes, je gagne la confiance de ces jeunes enfants qui commencent à m’entourer. Leurs jeunes yeux mettent de côté ma couleur de peau, ma tenue vestimentaire, mon sac à dos et mon appareil photo. Je les entends rire essayant de me prendre le ballon. Je commence à me prendre au jeu, esquisser mon premier sourire. Les rapports humains reprennent leurs droits. Les enfants malgré leur maladresse et leur énorme handicap (sûrement très douloureux) tentent de courir pour récupérer ce fichu ballon, devenu objet de convoitise. Puis, comme par enchantement, le temps d’une énième pirouette de ma part, plus aucun rire, plus aucun sourire, plus aucun enfant ! Ils sont tous retournés devant leur baraque foraine à tenter de vendre un petit souvenir. Une femme plus âgée vient de les rappeler à l’ordre à la vue de quelques touristes arrivant au loin…
Je sors de ce zoo complètement dégouté alors que rentrent d’autres blanc-becs, eux aussi, tombés aussi dans le piège…
A quand la fin de ce calvaire pour ces femmes au long cou ? A ce rythme, dans trop longtemps, leurs hôtes étant trop pleins de compassion… et de cupidité.
Au nom du respect de la dignité humaine, j’ai envie de dénoncer ce zoo humain et invite les touristes à ne pas encourager de telles pratiques. Si seulement, j’avais su…