Port Willunga, South Australia, 25 Août 2011.

Le vent souffle sur la plage de Port Willunga soulevant le sable et effaçant l’empreinte de mes pas à mesure que je m’en éloigne. Le soleil se reflète sur l’océan illuminant cette roche si jaune. Au fil des minutes perdu dans mes pensées, la lumière devient ocre puis de plus en plus rouge. La fin de journée approche et il est temps de reprendre la route, de quitter l’Australie, de quitter Shirley… à tout jamais.

Shirley, minuscule petite dame australienne, n’a pas connu une vie des vies les plus reposantes ayant perdu son mari, un fils et un frère dans des conditions très particulières. Cependant grâce à une force de caractère, elle a toujours rebondie et avancée si bien que pour ses 82 printemps, elle a reçu un cadeau très particulier. Le 5 janvier 2010, pour son anniversaire, à son habitude, ce petit bout de femme n’aura quasiment pas touché au festin qu’elle avait si bien préparé pour ses amis proches et sa famille. La fête était bien organisée et Shirley préférait troquer chaque part de gâteau contre des verres de Brandy, son alcool favori. Tout le monde était là lui offrant son cadeau dans la bonne humeur. Elle ouvrit l’enveloppe et découvrit ce qu’elle souhaitait le plus avant de mourir : un saut en parachute à la mémoire de son frère Max décédé le 11 février 1968 suite à un amerrissage catastrophe en mer, lui-même parachutiste.

Cinq jours plus tard, à son atterrissage, elle répétait fièrement mais soulagée « je pensais que j’avais perdu mes cheveux et que mes jambes étaient autour de mon cou ! ». Tout le monde était hilare.

Un an plus tard, des cousins de son mari, assassiné plusieurs décennies auparavant, habitant en Allemagne, l’ont invitée pour passer un mois au milieu de l’été bavarois. Agée de 83 ans, elle était repartie pour un long vol de plus de 24 heures avec ces deux bagages chargés de cadeaux australiens d’un autre temps : kangourous en plastique et chapeaux de cow-boy multicolores !

Madame étant très coquette, elle voulait aussi faire rentrer toute son armoire et ses innombrables paires de souliers. Elle aura passé plusieurs jours à essayer d’organiser celles-ci : organisant, réorganisant puis désorganisant… C’est seulement quelques heures avant le départ qu’elle comprendra que la grosse malle était trop petite pour toutes ces chaussures. Assise dessus pour la fermer, il ne fallait plus qu’espérer qu’elle n’explose pas sous la pression des vêtements… Les deux valises étaient définitivement bouclées atteignant le poids limite autorisé par la compagnie aérienne : 33 kilogrammes.  Shirley devait donc  pour le reste du voyage traîner son propre poids !

Elle passera un mois formidable même si les premiers jours la fatigue, les voitures roulant du mauvais côté de la route, à droite, et cette langue si différente lui fera regretter sa petite maison si calme non loin de la plage. Elle aura pu se remémorer les souvenirs de l’époque où toute la famille était réunie autour des repas qu’elle préparait pour son mari, ses enfants et son frère : ce petit bout d’Allemagne perdu.

Aujourd’hui, à l’heure où mes traces de pas s’effacent sur le sable sous l’effet du vent, et maintenant des vagues arrivant avec la marée montante, Shirley a accompli ces deux vœux les plus chers sur sa liste des choses à faire… Elle est ma pote australienne de Port-Willunga. Elle aura été d’abord ma propriétaire mais sera vite devenue une grande complice chaque soir après le travail où le soleil s’écrasait dans la mer, à l’heure du brandy – coke. Je la quitte sachant que maintenant malgré une santé de fer, elle n’arrête pas de se demander ce qu’elle fait encore là… Elle est comme tous les soirs, seule, assise sur son canapé, au près du poil, une larme perlant sur sa joue, écoutant cette musique traditionnelle allemande avec une clope et un verre de brandy à la main.

« Granny, il est temps pour moi de boire un verre à ta santé, et bien sûr un verre de Brandy. Cheers mate ! »

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